Les victimes de ceux que l’on nomme aujourd’hui les pervers narcissiques se retrouvent parfois dans un isolement relationnel à la fois douloureux et dangereux. Certaines personnes de leur entourage, qui peuvent être des proches ou des amis, peuvent persister à les aider. Heureusement, car ces personnes sont souvent leur dernier rempart, mais malheureusement aussi, car leur aide atteint difficilement son but. La difficulté vient du fait qu’une personne sous emprise non seulement subit la manipulation, mais aussi la reproduit. Car, en subissant son pouvoir, elle a malheureusement entériné la vision perverse du monde de celui ou de celle qui la torture. Dès lors, difficile pour ceux qui veulent l’aider à la sortir de l’hypnose. Voici quelques conseils pour mieux cerner la situation et aider à trouver une issue.
De l’inutilité de s’acharner sur un pervers
Vouloir aider la victime d’un pervers narcissique en cherchant à la débarrasser de son bourreau, est souvent la première réaction, somme toute assez logique, de l’entourage aidant. Or, bien qu’il l’ignore, il s’agit là d’une erreur, car cela revient à ne pas prendre le problème par le bon bout. Car ce qui paralyse une victime, n’est pas tant de souffrir des agissements d’un partenaire pervers, que de l’irrésistible attraction qu’il ou elle exerce sur elle. Le problème n’est donc pas le bourreau, mais l’emprise, ce n’est pas la personne, c’est la relation.
D’où le fait qu’écarter une victime physiquement de son bourreau ne serve pas à grand-chose, car elle retombe irrémédiablement tôt ou tard dans ses bras. Du moins tant qu’elle n’aura pas compris la nature de l’emprise qu’elle endure, liée à la teneur des souffrances émotionnelles passées et présentes qui alimentent cette emprise.
De l’art de pas affronter un pervers narcissique en frontalement
« Sauver « une victime en l’arrachant des mains de son bourreau est donc un leurre. Et affronter ce bourreau de front, une grosse erreur… Car en bon prédateur qu’il est, celui-ci n’hésitera pas à retourner ses foudres contre celui ou celle qui ose lui contester sa proie.
Le « sauveur » risque donc de se retrouver à son tour foudroyé, ce qui n’arrange guère les affaires de la victime. À plus forte raison si son sauveur, par le jeu de l’identification, est atteint de failles narcissiques et émotionnelles semblables aux siennes. Les feux du pervers vont alors l’atteindre de plein fouet, car les êtres atteints de perversion narcissique sont passés maîtres dans l’art de la menace, du mensonge et de l’intimidation. Quant à la victime, elle risque quant à elle de subir en plus les conséquences de cet affrontement stérile.
Mieux comprendre le contexte d’une victime
Les amis ou membres de la famille bien intentionnés vis-à-vis d’une victime doivent donc se méfier de leur vocation de Saint-Bernard. Il est aussi judicieux pour elles de prendre de la distance vis-à-vis des raisons qui les poussent à porter secours. Elles ont intérêt à comprendre qu’il y a un lien de dépendance entre un pervers narcissique et sa victime qui ne peut se dénouer ni rapidement, ni facilement.
Comme nous l’avons évoqué en introduction, l’emprise psychique maintient la victime dans une bulle où règnent les représentations mentales narcissiques et fétides de son bourreau : sur le monde, sur la société qui l’entoure, sur les autres, et surtout, sur lui-même et son égo délirant. Et elle a donc incorporé ce monde à ses croyances, avec notamment et surtout, ce qu’il a de plus délétère : soit la haine et le mépris en ce qui qui la concerne Haine et mépris qui la désignent comme le bouc-émissaire du narcissique et qui lui doivent des qualificatifs comme boulet, fardeau, repoussoir, incapable, etc.
Ceci explique que les paroles de réconfort et d’encouragement que lui prodiguent ceux souhaitant l’aider soient pour elle source d’une dissonance cognitive très forte. Même si elle souhaite y adhérer, les croyances incorporées auprès du pervers sont si fortes, que la peur et les résistances installées, font rempart à tout changement. On peut observer ainsi différents subterfuges chez elle pour se soustraire à l’attitude et aux paroles des personnes aidantes, les plus fréquentes étant les mystifications visant à faire croire qu’elle n’a besoin de rien, et que tout va bien.
Pourquoi il ne faut jamais juger une victime
C’est là l’écueil certainement le plus important de l’entourage, aidant ou non, car il ne peut comprendre, de prime abord, le monde cauchemardesque dans lequel est coincé la victime. Qui peut comprendre, de fait, ce que ressent une personne sans cesse intimidée, humiliée, et plongée dans le royaume de ses peurs ?
Très peu, en fait, car cela n’est pas concevable pour un esprit serein, menant une vie normale, et non averti du danger que représente un trouble pathologique comme la perversion narcissique.
Au classement des appréciations inadaptées à la situation qui attendent la victime, le jugement moral est souvent bien placé : « elle ne fait rien pour s’en sortir », « elle devrait se soigner »…
Car la situation dérange, l’état de santé et l’inaptitude de la victime à effectuer certains gestes de la vie courante peuvent insupporter l’entourage, et ce, même si elle est déjà en état de grave dissociation.
Autre qualificatif auquel elle a droit : celui de masochiste, car sur sa paralysie dans sa situation, plane un mystère difficile à comprendre. Ses forces vitales sont altérées, tel l’oiseau englué dans le piège, et elle a de moins en moins de force pour bouger. Là encore, l’entourage est lui aussi secrètement en panique. Juger est en quelques sorte plus facile, et la barrière de l’indifférence devient une protection : après tout, si on n’y peut rien, c’est donc bel et bien qu’elle
est responsable.
La tentation de croire qu’une victime souffre, parce qu’elle le veut, voir même qu’elle « aime » ça n’est jamais très loin …
Pas si simple pourtant, mais où est la clé ?
Alors comment aider une victime ?
Les pièges que nous venons de voir et qui guettent l’entourage aidant proviennent bien souvent d’une trop grande proximité avec la victime. L’identification trop forte, qui va aggraver les conflits, ou le rejet de la victime dans des clichés faciles viennent paradoxalement trop souvent, d’une trop grande volonté d’«aider ».
On ne peut pourtant que conseiller à l’entourage de se protéger également, car les feux d’un pervers sont puissants et visent aussi les proches par ricochet.
Cela ne signifie aucunement sombrer dans l’indifférence, ce qui, au reste, n’est pas possible. Mais cela consiste à prendre d’honnêtes distances, en veillant à reconsidérer ce dont l’on est vraiment capable. La limite est à fixer en fonction de ses ressources et du seuil au-delà duquel l’aide apportée nuit à son propre équilibre en tant qu’aidant.
L’aide extérieure, qu’elle vienne d’institutionnels, ou surtout de soignants de plus en plus au fait des rouages de la perversion narcissique, a donc certainement plus de « force de frappe » qu’une aide isolée. Les thérapeutes ont, de fait, le recul nécessaire pour évaluer le degré d’emprise exercé sur la personne et l’aider à mettre en place les « mesures de sauvetage psychique » adéquates pour s’extirper du piège.
Ce qui ne signifie nullement que l’entourage n’ait aucun rôle à jouer, mais une aide isolée risque d’exténuer la personne aidante, avec les conséquences observées plus haut.
Il n’y a donc pas lieu de se décourager, car un rapide point de la situation permet de cerner souvent que l’union fait la force.
Même si le pervers narcissique a souvent tendance à littéralement subjuguer ou dissuader l’entourage de sa proie d’approcher, les membres les plus proches et les plus intimes, comme les amis les plus sincères, s’y laissent peu prendre.
L’obstacle peut être dans les ressentis différents des proches de la victime qui peuvent faire naître un manque de concertation.
La perversion narcissique apprend alors beaucoup à chacun, car elle permet de faire cause commune autour de la victime tout en relativisant ses forces et ses points de vue pour s’allier aux autres dans l’intérêt de son proche. Car autant l’aide isolée est impuissante, autant l’aide concertée est efficace pour marquer un point important : sortir la victime de l’isolement.
La perversion narcissique est un trouble psychique dévastateur, mais elles révèle les individus. Jusqu’où est-on prêt aux concessions pour ceux qu’on aime, même quand cela remet en cause nos convictions, nos certitudes, notre confort, notre vie matérielle ?
Il faut bien plus que de la bonne volonté pour venir en aide à une victime touchées par les agissements d’un psychopathe. C’est sa fragilité, autrement dénommées failles narcissique ou blessures émotionnelles, qui sont à l’origine du problème. Le comprendre pour ses proches requiert à la fois force et humilité.